Interviews
FRÉDÉRIC REBET, PRÉSIDENT, LE CHIFFRE
Un globe-trotter confiné pourrait être un oxymore si, comme il le souligne lui-même, Frédéric Rebet n’était pas rompu à l’exercice des chemins de traverse et à la voie 9.3/4 chère à Harry Potter. Son expérience de la création d’entreprise et son expertise supra nationale des Industries Culturelles et Créatives l’ont récemment conduit à créer le premier fonds stratégique européen dédié à ces industries, avec l’ambition de lever 2 milliards d’euros. Ne lui parlez pas de crise, il vous répondra avec "l'énergie de la crise" ! En attendant, comment concilier cette perspective et le confinement, nous lui avons posé la question.
1/ À quoi ressemble votre confinement ?
J’ai découvert, durant cette période, beaucoup de personnes dont je n’avais jamais entendu parler, mais je crains de les avoir beaucoup entendu parler.
Les contraintes n’ont en rien changé mon organisation. Je suis malheureusement rompu à l’exercice de la distance car mon activité se situe autant aux USA qu’au Japon, ou en Europe, avec des fuseaux horaires étendus, nous sommes connectés en permanence. J’applique le commentaire du Dalai Lama lorsque nous avons basculé en l’an 2000 : « un jour comme les autres, le soleil va se lever puis se coucher le soir ».
En revanche, ne plus se déplacer rompt l’alternance désirée. Dans un monde numérique qui peut se passer des contacts physiques, j’encourage l’inverse et aime me rendre sur place pour rencontrer mes interlocuteurs.
2/ Peut-on travailler efficacement en cette période ?
Bien sûr, à condition de ne pas tomber dans un faux rythme. Je n’aime pas les visio conférences qui exonèrent souvent les participants de leur préparation et d’une certaine concentration.Je travaille de préférence par téléphone, mais je porte une cravate et un costume.
3/ Quels sont les enjeux auxquels doit faire face votre secteur d’activité ?
Le paradoxe vient du fait que l’industrie dans laquelle j’évolue, les entreprises culturelles et créatives, en particulier la musique, s’est longtemps battue contre l’innovation numérique et l’émergence de nouveaux modèles, alors que ce sont ces nouvelles pratiques qui aujourd’hui l’empêchent de plonger.La récompense de piètres visionnaires, un constat à méditer.
Mais cela reste plus compliqué pour le spectacle vivant.
4/ Comment voyez-vous l’avenir de votre secteur après avoir traversé la crise ?
Ma grande crainte est la fragilité capitalistique des industries créatives françaises qui sont, rappelons le (débat Culture & Management du 10 octobre 2018), les championnes de l’exportation mondiale, après les USA.Nous sommes devenus la cible favorite des BATX (l’équivalent chinois des GAFAM américains surmédiatisés) par le contenu de nos catalogues, notre expérience et notre approche légale. Un modèle européen convoité.
Il y a plus d’un an à Mannheim, j’annonçais des mouvements de participations à venir, en particulier pour Universal qui a terminé 2019 avec 20% de prise de contrôle par le chinois Tencent. Elle ne terminera pas l’année 2020 à moins de 30%.
Nous y sommes, et ce n’est pas fini !
5/ Une lecture, un film, un podcast, une musique qui vous a redonné le sourire ?
Dispensez vous d’écouter les informations françaises et tournez vous vers une vision internationale, plus ouverte. Pour ceux qui n’ont pas le désir anglophone de se connecter à la BBC, nous avons des alternatives : j’écoute chaque matin les trois revues de presse internationales de France Inter, France Culture et Europe 1.Moins nombriliste et rafraichissant.
La bande originale de ces 55 jours ? « This must be the place » des Talking Heads.
6/ Un conseil pour bien prendre soin de soi ?
Restez souple avant tout, intellectuellement et socialement. L’intelligence, ce n’est pas ce que l’on sait mais ce que l’on fait quand on ne sait pas. Pour être une nation indomptable, comme le soulignait Winston Churchill dans son discours du 12 avril 1941, il faut savoir s’adapter à toutes les situations.Mais, ne vous considérez surtout pas en guerre. Si vous voulez vous ridiculiser, parlez en avec vos ainés qui ont vécu la guerre, la vraie.
7/ Une idée pour continuer de s’engager depuis son canapé ?
Troquez votre canapé pour un tabouret.Vous gagnerez de la place et un peu de hauteur.
Crédit photo: Sumio Sakaguchi.
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