Interviews

JEAN-PHILIPPE THIELLAY, PRÉSIDENT DU CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE

Jean-Philippe Thiellay, Président du Centre National de la Musique

Jean-Philippe THIELLAY est le Président du Centre National de la Musique (CNM) depuis le 1er janvier 2020. Conseiller d’État et ancien Directeur Général Adjoint de l’Opéra national de Paris (2014 - 2019), il est également auteur de plusieurs livres consacrés à la musique (sur Bellini, Meyerbeer, Rossini, aux Editions Actes Sud).
Nouvel établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous la tutelle du Ministère de la Culture, le CNM a pris la suite du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) et doit fusionner en 2020 avec le Fonds pour la création musicale (FCM), le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA), le Club action des labels et des disquaires indépendants français (CALIF) et le Bureau Export. Il vise à répondre aux défis et enjeux de la filière musicale (musique live et musique enregistrée), et notamment à la nécessité de rassembler les dispositifs de soutien financier à la filière afin d’améliorer la cohérence et l’efficience du soutien public.

À quoi a ressemblé votre confinement ?

À une situation très contrastée ! Avec, d’une part, des conditions de travail plutôt agréables à domicile, dans le 14ème arrondissement de Paris et, d’autre part, un sentiment croissant de manque de contacts humains et de spectacles. En permanence également, il y a eu de l’inquiétude pour les nombreux acteurs du monde de la musique, durement frappés par la crise. Pour « soigner » mon manque de spectacles, j’ai beaucoup écouté de musique en ligne et visionné des spectacles enregistrés, dans tous les genres…

Avez-vous pu travailler efficacement en cette période ?

Efficacement, je l’espère ; en tout cas, on a énormément travaillé au CNM ! En période de confinement, la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle est encore moins nette qu’avant. On gagne du temps sur les transports mais on en passe tellement sur les écrans, les rendez-vous téléphoniques, les visio-conférences, qui demandent une concentration très différente ! Du reste, je suis fier de l’équipe du CNM qui a su s’adapter très rapidement et a mis en place en quelques jours seulement, dès la mi-mars, un fonds de secours pour les acteurs du secteur, de 11,5M€.

Quels sont les enjeux auxquels doit faire face votre secteur d’activité ?

Le CNM s’adresse à une grande diversité d’acteurs, du spectacle vivant à l’industrie de la musique enregistrée : pour les uns et les autres, les conséquences de la crise et les défis ont été différents mais gravissimes. Et ce n’est malheureusement pas fini. Notre principal enjeu est d’éviter les défaillances et la faillite des entreprises, d’où la création de ce fonds de secours, complété depuis par un fonds d’aide au phono. Dans le domaine du spectacle vivant, un enjeu majeur aura été de s’adapter à l’absence de visibilité liée aux incertitudes de la situation sanitaire. Cela complique tout : dates de réouverture, conditions du déconfinement, jauges autorisées, report de concerts ou de festivals … Le dernier enjeu sera tout simplement de redémarrer, de créer les conditions de la relance, en limitant la casse.

Quels défis a dû relever votre cœur de métier ?

Pour le CNM, une institution toute jeune puisqu’elle a vu le jour le 1er janvier 2020, le défi majeur a été de faire la preuve de son efficacité face à l’urgence, tout en continuant à construire sur le long terme cette maison commune, au service de tous les acteurs de la musique. En réponse à la crise, le CNM s’est donc efforcé de jouer son rôle structurant pour la filière dans toute sa diversité. J’ai passé énormément de temps à prendre des nouvelles de tous les acteurs, des grandes institutions aux petits festivals, ne serait-ce que pour leur exprimer notre solidarité face aux difficultés… Notre fonds de secours, mis en place dès le 18 mars, a déjà aidé plus de 500 structures, 3 000 artistes, et plus de 3,7 millions € d’aides versées aux professionnels.
En parallèle de cette gestion de l’urgence, nous nous sommes appliqués à continuer à construire cette maison commune, en travaillant à la fusion avec les quatre associations partenaires que j’ai mentionnées : il nous faut aujourd’hui trouver de nouveaux locaux, bâtir une nouvelle convention collective, rapprocher les systèmes informatiques, budgétaires et comptables… C’est un travail considérable.

Comment voyez-vous l’avenir de votre secteur après avoir traversé la crise ?

À court terme, j’insiste sur le fait que le déconfinement n’est pas synonyme de reprise pour le secteur de la musique. Bien sûr, il faut encourager cette reprise, pour que les artistes retrouvent la scène et leur public. Mais cette reprise ne résoudra pas tous les problèmes. Au contraire, elle pose énormément de questions : ouvrir avec des jauges réduites est, d’un point de vue économique, sans doute aussi problématique que ne pas rouvrir ! Les établissements qui sont moins dépendants de la billetterie auront peut-être plus de facilité à reprendre, mais pour la majorité des structures privées, rouvrir ne sera possible qu’avec un accompagnement économique adapté. À moyen terme, il faudra aussi être attentif à l’évolution du paysage économique de la musique : concentrations, rachats, faillites… et le CNM est là pour observer, recueillir des données et les analyser pour définir au mieux la politique publique pour la musique. Nous entrons dans une phase complexe et il nous faudra faire preuve d’une grande vigilance mais aussi l’affronter avec confiance : le service public a su démontrer pendant cette crise qu’il était là pour aider le secteur culturel. Dans tous les cas, je reste optimiste car, pour les acteurs du secteur, l’envie de retrouver le public est intacte, et pour les spectateurs, je suis convaincu que l’envie de spectacles est plus forte que jamais.

Quelle sera votre grande actualité une fois le déconfinement engagé ?

À titre personnel, je tiens à être aux côtés des professionnels qui vont se mobiliser dès cet été pour proposer des spectacles à leur public. J’espère écumer les quelques festivals qui pourront se tenir en juillet et en août ! Par ailleurs, le CNM s’est vu accorder 50 millions € par le gouvernement et nous allons donc tout mettre en place pour faire la meilleure utilisation possible de ce budget, après une intense phase de concertation qui est en cours avec les professionnels.

Une musique, un film, un podcast qui vous a redonné le sourire ?

Je n’ai jamais perdu le sourire…  J’ai apprécié le livre Gainsbourg, 5 bis, rue de Verneuil de Marie David, qui nous fait entrer dans l’intimité de Serge Gainsbourg à travers le prisme de sa maison au 5 bis rue de Verneuil, qui est le personnage central du livre. J’ai aussi aimé la sortie du dernier titre de Vianney « N’attendons pas », en plein confinement. Comme il le chante, « Je fais de la vie mon drapeau ; je vois la vie comme un cadeau » !

Un conseil pour bien prendre soin de soi ?

Faire du sport ! Absolument indispensable, pour moi, tous les jours si possible, en musique ou avec des podcasts.

Une idée pour continuer de s’engager pour la culture depuis son canapé ?

Il faut prendre conscience que la culture est extraordinairement accessible, plus que jamais, mais il faut absolument réfléchir et faire évoluer les modèles économiques : si la gratuité a été formidable à de nombreux égards pendant le confinement, elle ne peut pas être l’avenir de la culture. Les artistes doivent être rémunérés et vivre de leur art. Sans rémunération, sans eux, il n’y a pas d’art, pas de création, pas de culture. Nous devons tous en prendre conscience.

 

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