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MANON DEMURGER, RESPONSABLE DE LA PROGRAMMATION, MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE

Manon DEMURGER, Responsable de la programmation, Maison Européenne de la Photographie

Située au cœur du Marais à Paris, la MEP est un lieu d’exposition dédié à la photographie sous toutes ses formes. Soutenue par la Ville de Paris, elle rassemble également une collection de photographies d’après-guerre et l’une des plus importantes bibliothèques spécialisées en Europe.

Si on regarde dans le rétroviseur de ces 4 mois de confinement et post-confinement ...

 

Ces derniers mois ont bien sûr été difficiles et très déstabilisants. Comme la plupart des musées, la MEP a dû fermer au public brutalement mi-mars, puis a rouvert mi-juin avec la mise en place d’un protocole sanitaire très stricte. On a dû modifier le calendrier des expositions, reporter nos collaborations à l’international et suspendre nos actions culturelles in situ. Mais paradoxalement, cela a aussi été un moment très stimulant professionnellement, qui nous a forcés à être plus créatifs. Il a fallu s’adapter et trouver des solutions pour honorer les engagements pris auprès des artistes. Beaucoup d’entre eux ont été touchés de plein fouet par la crise avec l’annulation de nombreux projets. On a aussi cherché de nouveaux moyens pour rester en contact avec les publics, notamment grâce au numérique.  On a d’ailleurs créé pendant le confinement la page « La MEP chez vous » sur notre site internet, pour laquelle l’ensemble de l’équipe a travaillé à la création de contenus digitaux inédits : des podcasts, des interviews et performances d’artistes, des activités pour les enfants, des analyses d’œuvres, des Workshops en visioconférence, etc. Tout cela a été largement relayé par les réseaux sociaux, ce qui a permis de toucher de nouveaux publics, de faire connaître la MEP à des gens qui n’étaient jamais venus. J’ajouterais que ces derniers mois ont été aussi l’occasion d’une prise de recul. On est souvent pris dans le rythme effréné du quotidien, des nombreux projets en cours et à venir. Là, il y avait justement le temps de « regarder dans le rétroviseur » pour faire un bilan de nos actions et mener des réflexions sur des sujets de fonds pour l’avenir.

Et si on regarde devant nous …

Il y a encore des incertitudes pour les mois à venir, un équilibre à retrouver, notamment financier. Mais nos activités reprennent doucement. Nous sommes ravis d’avoir rouvert la MEP et de faire découvrir au public l’exposition « Erwin Wurm Photographs » qui avait dû fermer prématurément avec le confinement. Il s’agit de la première rétrospective consacrée au travail photographique de l’artiste autrichien, connu pour ses sculptures et ses performances. Erwin Wurm nous invite à regarder notre environnement quotidien différemment, il en révèle l’absurdité mais aussi le potentiel créatif. Cela résonne tout particulièrement avec la période que l’on vient de traverser. Nous avons aussi la joie de pouvoir de nouveau travailler sur la programmation à venir. Notre priorité est de maintenir les projets pour lesquels on s’était engagé. On espère aussi pouvoir reprogrammer des actions culturelles in situ dans le courant du mois de septembre. Et suite au succès de nos contenus digitaux pendant le confinement, nous avons décidé de poursuivre notre logique de programmation virtuelle avec « La MEP en ligne », pour donner accès à plus de contenus sur les œuvres et les artistes.

Quelques pistes pour avancer ?

Cette crise nous a amenés à nous interroger sur la manière dont on fait des expositions aujourd’hui. Il s’agit souvent de grosses « machines », très lourdes logistiquement qui se sont trouvées complètement paralysées. Le secteur est très mondialisé et interdépendant. Il faut renforcer les solidarités mais aussi peut-être trouver plus de souplesse, de simplicité, et savoir travailler avec les ressources locales. La photographie et la vidéo en tout cas, le permettent. Du point de vue des publics, il y a aussi beaucoup de choses à développer. Les musées sont des lieux propices à la réflexion, au débat, au développement de l’esprit critique. Nous avons créé récemment à la MEP les « Workshops Arts et Société ». Il s’agit d’ateliers de réflexion et de discussion qui ont pour but de s’interroger sur ce que l’art peut dire des enjeux sociaux et politiques du monde actuel. C’est un format qui me tient à cœur car on a souvent tendance à réserver les actions pédagogiques au jeune public, or elles sont aussi très utiles aux adultes.

 

Un livre, un film, un podcast qui vous a fait du bien ?

J’ai découvert l’ouvrage d’Isabelle Alfonsi, Pour une esthétique de l’émancipation, publié l’année dernière aux éditions B42. C’est un livre passionnant et très inspirant qui cherche à montrer comment l’Histoire de l’art a minimisé l’engagement politique de toute une lignée d’artistes, en les replaçant dans le contexte du militantisme de défense des droits des homosexuels et de la pensée féministe et anti-capitaliste. Cela montre une fois de plus combien l’art et sa pensée sont de véritables lieux d’émancipation.

J’ai eu aussi beaucoup de plaisir à écouter les podcasts créés par notre service collections autour des œuvres de la MEP. Une belle occasion de découvrir l’histoire de photographies réalisées par des auteurs aussi variés que Bernard Plossu, Joan Fontcuberta ou Shoji Ueda.

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